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Encore une journée

Publié le par Carole

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    Je passais devant un chantier. J'ai vu la main d'abord. Toute bandée de ciment, épaisse et rouge et comme réduite à quatre doigts raidis, elle montrait l'inscription sur la paroi de tôle : "Encore une journée". 
    Tout cela était si lourd, et si étrange aussi, que j'ai pris la photo. Partout des ouvriers casqués s'affairaient.
    Encore une journée, oui, encore une journée d'effort et de fatigue sur cette terre où sans fin les humains bâtissent et rebâtissent, poussant leur tâche comme un rocher de Sisyphe. Demain sera un autre jour, encore une journée à peiner, à tenir, à lutter - et à construire aussi. Car ainsi va la vie, d'un jour d'effort à un jour de fatigue, et d'un chantier à un autre chantier, dans l'immense travail des hommes.

Publié dans Fables

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La Boudeuse aux glaces et aux mouettes

Publié le par Carole Chollet-Buisson

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Nantes - 11 février 2012 -
 
 C'était l'année passée, par un hiver de gel. Le fleuve charriait des flottaisons de glaçons qui se brisaient avec fracas aux piles des grands ponts de l'estuaire.
Cette Boudeuse était depuis si longtemps à l'ancre, face au large, dans le lent battement des marées, sur cette courbe de Loire, tout près des vieux chantiers d'Indret, où naquit l'autre Boudeuse - celle de M. de Bougainville, qui fit jadis le tour de l'Ancien monde et du Nouveau-... depuis si longtemps elle attendait, immobile et rêveuse, que je croyais qu'elle ne partirait plus jamais.
Elle était ce soir-là, cette belle Boudeuse, comme un vaisseau fantôme arrêté parmi les glaces, sous une lumière immobile d'aurore boréale.
Voici qu'elle est partie désormais, vendue, saisie, reprise, réparée, je ne sais, mais en allée sur les routes mouvantes des navires et des vagues. Là où toujours elle désira s'enfuir. Car elle vivait, cette Boudeuse. Et rien, jamais, ne reste à l'ancre, que ce qui meurt.

Publié dans Nantes

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A Combray - 2-

Publié le par Carole

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     "La vérité ne commencera qu'au moment où l'écrivain prendra deux objets différents, posera leur rapport, analogue dans le monde de l'art à celui qu'est le rapport unique, de la loi causale, dans le monde de la science, [...]dégagera leur essence en les réunissant l'une et l'autre pour les soustraire aux contingences du temps, dans une métaphore [...]." (Marcel Proust, Le Temps retrouvé)
 
 
    A Combray il y avait aussi, sur les toits bruns vallonnés par le temps, ces oiseaux immobiles attendant dans le gel. Ils étaient posés bien rangés, comme des pierres grises à la surface craquelée des champs labourés de l'hiver, ou comme ces pointes d'ossements dont parle Gérard de Nerval, sur un clocher semé de mousse, à l'horizon pentu des collines d'en haut.
    Et les fenêtres mansardées, avec leur charpente savante de vieux porches d'église, semblaient s'ouvrir sur des greniers de mots et des gerbes de phrases au grain de perles ombreuses. Tandis que les jardins, peut-être, dans la paix des hauts murs, abritaient les pages murmurantes et limpides des grands livres d'enfance et de mémoire profonde.
    Miroirs tournants de cette analogie qui est la magique substance des rêves, la métaphore et la comparaison, à Combray comme ailleurs, s'imposent à chaque pas. A chaque regard lent posé sur le vieux bourg, à chaque tournant des rues calmes, à chacun des carreaux bosselés de ces tuiles inégales qui pavent sur les toits le chemin des oiseaux et des pensées errantes, une image surgit, qui prend vie dans nos âmes.
    A Combray comme ailleurs. Ailleurs comme à Combray. 

Publié dans Fables

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A Combray -1-

Publié le par Carole

de profundis Combray
"[L]es pierres tombales, sous lesquelles la noble poussière des abbés de Combray, enterrés là, faisait au chœur comme un pavage spirituel, n’étaient plus elles-mêmes de la matière inerte et dure, car le temps les avait rendues douces et fait couler comme du miel" - Marcel Proust, Du Côté de chez Swann.
 
 
    A Illiers, qu'on appelle aujourd'hui Combray, tant le monde que l'artiste nous donne à voir finit par pénétrer toute réalité, il faisait bien froid. Pourtant la porte de la vieille église était restée ouverte.
    Nous sommes entrés, surpris d'être invités, et nous avons découvert la nef, semblable à un bateau s'en allant dans le temps, avec sa charpente de bois sombre qui rappelait aux promeneurs des longs plateaux de Beauce qu'il y avait eu là, jadis, de hautes forêts de chênes frémissant sous le vent.
    A la clarté d'un vitrail, j'ai aperçu cette pierre tombale. Elle recouvrait le corps d'un jeune abbé d'autrefois, disparu à vingt-cinq ans, disait l'inscription. De Profundis... sur la pierre couleur de terre dure, la tête de mort aux orbites profondes rayonnait d'ossements comme un soleil d'en bas... clamavi, clamavi...
    J'ai pensé que le jeune Marcel avait vu cette pierre, qu'il avait craint de poser ses pas sur ces os tournoyants, que le regard noir et cave du mort avait fait frissonner ses nuits agitées d'insomnie.
    Et je me suis dit qu'on pouvait, en effet, s'enfermer dans une chambre et bâtir toute une oeuvre, pour qu'Illiers devienne Combray, pour que les tombes se fondent en miel, et que l'os des visages en allés se sculpte de nouveau aux formes douces de la vie. Pour que la naïve brutalité de la mort laisse place aux savants cheminements de la mémoire, aux calmes intermittences de la rêverie. Et que les mots recouvrent peu à peu de leurs plis délicats les yeux perdus du temps - enfin retrouvé.

Publié dans Fables

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Ressources

Publié le par Carole

ressources
 
    Il est temps que je fasse l'inventaire. Le compte et le décompte. Le bilan, le grand déballage. Le solde enfin de mes ressources. 
   Savoir de quoi je dispose, sur quoi je peux compter... Dans quelles malles puiser le grand tissu des mots, dans quelles mines creuser les galeries des phrases. De quel bois réchauffer ma mémoire, sur quels sentiers rouler la carriole aux images.
   C'est un compte... à peu près - car tout noter, tracer le point final, tirer la barre du total, je crois que je ne le pourrai pas. C'est que, voyez-vous, tout invite, tout appelle, et les coffres débordent... Il y a tant de choses à saisir, à poursuivre, tant de choses qui dansent, qui bavardent, qui s'approchent et qui fuient : des rues, des reflets, des lumières, des couleurs, des enseignes et des lettres. Des passants quelquefois. Quelques fleurs et des arbres. Des coins de ciel comme des perles grises, et d'autres bleus comme des planètes. Des brassées de soleil, des nuages qui voguent. Des sentiers bien tracés, des routes interdites. Des cercles, des carrés, des bouts de labyrinthes. Du jour, de la nuit, et beaucoup de pénombre. Des balcons très légers, de lourds frontons obscurs. Des portes qui s'ouvrent et se referment, des fenêtres qui battent comme des coeurs d'oiseaux sur les lamelles étranges du kaléidoscope.
   Bon, ça ne va pas si mal. Il y a de quoi, comme on disait chez moi, au village...

Publié dans Fables

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Les oiseaux de Saint-Malo

Publié le par Carole

oiseaux de Saint-Malo version finale finale
 
    Parfois, je me prends à penser qu'au fond, nous ne sommes pas si éloignés, peut-être...
   Que malgré tout ce temps consumé, ce ciel noir, ces rues pétaradantes, ces robots, ces fumées, nous pourrions nous réconcilier, nous regarder et nous parler, retrouver l'harmonie perdue, parcourir côte à côte les grands chemins de vie. 
   Que le monde des machines, des bateaux, des remparts, pourrait cesser de dominer et d'obscurcir celui des oiseaux, de la mer, des arbres et du ciel.
    Et qu'il serait bien doux, sur la vieille syrinx, cet air nouveau que nous jouerions ensemble.
 
    Et qu'il est bon, aussi, de photographier les oiseaux, pour rendre enfin les hommes un peu plus sages.

Publié dans Fables

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Le piano

Publié le par Carole

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    Dans la petite rue étroite et sombre où vécut Paul Ladmirault, Vinteuil nantais, compositeur délicat et modeste, trop rarement joué, il y a une heure, le soir, où le soleil s'en vient rôder sur le bronze, une heure où les ombres qui passent découpent un long rayon dans la lumière dorée, pour le poser au front du musicien défunt.
    Une heure où l'on entend, dans la maison fermée, résonner un piano.
  Dans la vieille demeure du compositeur presque oublié, quelqu'un est là, qui continue.

Publié dans Nantes

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Chevaux de bois

Publié le par Carole

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      "Throw that junk", Orson Welles, Citizen Kane
 
Petit cheval de la brocante, petit cheval de bois, fatigué, presque chauve et la queue arrachée, tu avais l'air si courageux sur tes roulettes usées, tu avais l'air si obstiné parmi le bric-à-brac et les cartons sans gloire, près de la vieille malle aux partitions jaunies, tu avais tellement l'air de fixer ton chemin pour ne jamais perdre la trace...
 
Je l'ai toujours su, que les chevaux de bois ne veulent pas céder. Que, bien après que les enfants qu'ils portaient soient retombés sur terre dans la vie telle qu'elle va, ils continuent la route, afin que le souvenir des grands pays qu'elle traversait ne se perde pas tout à fait dans nos mémoires vacillantes.
Et quand, plus tard, las de nos vies étranges, nous refermons les yeux, ce sont eux, les vieux chevaux fourbus, qui viennent nous chercher, pour une chevauchée dernière, dans le soleil d'avant, et les neiges d'antan.
Et loin de nous qui voyageons là-bas, revenus à nous-mêmes, qu'importe si le temps, d'un coup de vent furieux, claque le grand couvercle de la malle aux chansons, tandis qu'on jette au feu la carcasse de bois de nos rêves d'enfants ?

Publié dans Enfance

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L'appareil-photo

Publié le par Carole

photo carrés collés
 
    Un étrange photographe affiche en ce moment ses images dans la ville. Il semble se faire appeler monsieur O.
    Il découpe en petits carrés et en petits rectangles des reproductions de ses photos, et il les scotche sur les grillages. Un morceau de papier par maille comme en son petit cadre, et, bientôt, l'image entière apparaît, à la façon d'un puzzle, un peu tremblante, légèrement irrégulière, approximative, avec l'air de vouloir bientôt se défaire, au vent et à la pluie, pour redevenir le petit tas d'énigmes qu'elle était avant qu'on en assemble les fragments.
    Je n'ose imaginer le temps passé à ce bizarre travail... Sur l'un de ses chevalets de fil de fer, au fond d'un square obscur, le photographe aux carrés de papier a même accroché son appareil photo - de papier lui aussi : trois morceaux scotchés du dessin stylisé d'un vieux compact argentique - un ancien Kodak, par exemple, ou bien un antique Contax, un Fujica gainé de simili-cuir...
 
 appareil-photo-monsieur-O.jpg
 
    J'ai regardé cela d'abord avec un peu de dédain. Et puis je me suis dit qu'il n'avait pas tort, ce curieux monsieur O. Car la photographie, finalement, n'est rien d'autre : l'art minutieux de découper le monde immense, le monde entier, en une multitude de petits carrés ou de petits rectangles.
    Afin, sans doute, que chaque petit carré, chaque petit rectangle, détaché, solitaire, humble fragment du tout, se révèle être lui-même un monde.
   En tout cas le monde - le monde immense, le monde entier -, ainsi découpé, encadré, recadré, se révèle très différent de ce que l'on croyait. Alors, étonné, on s'approche : "Tiens, mais qu'est-ce que c'est donc ? " On regarde, on se demande... ah ça mais ça alors c'est bien beau que c'est laid c'est bizarre que c'est drôle je n'aurais jamais cru ah vraiment c'est si... Peu importe : on regarde, on ne passe pas tout de suite son chemin, comme on le faisait jusque là.
    Et c'est bien l'essentiel. 

Publié dans Fables

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Soldes

Publié le par Carole

50-pour-cent-sur-tout-l-hiver.jpg
 
    Il faisait aujourd'hui, après tant de jours noirs et glacés, un temps délicieux, printanier. Je marchais dans la rue, le pas dansant, l'esprit léger, comme j'aurais marché vers moi-même, quand j'ai été arrêtée par ces soldes :
 
    "-50 % sur tout l'hiver"
 
    Comme elle y allait, la vitrine emplie de ciel et de lumière, avec ses affichettes vertes bondissant sur le verre en longues sauterelles, comme elle chantait, comme elle stridulait pour attirer les passants : "Allons, venez et achetez, liquidons-le, le sombre hiver, finissons-en avec les pluies en stocks, les nuages de bure noire et les brouillards de laine grise, faites-en provision à bon compte pour vos vieux jours, emplissez vos placards à naphtaline et vos malles au grenier, et puis n'en parlons plus ! Bazardons-le, le vieil hiver, des hiers dépassés faisons table rase, pour enfin faire entrer à l'étalage les ciels tremblants de soie, les délicats nuages de fine mousseline, les doux matins de gaze rose, les forêts bleues de velours tendre, les grands jardins de liberty, les caracos de lamé flambant, les moires flottantes des écharpes, et les décolletés de soleil... tout le printemps des étoffes et des colifichets !" Je me serais laissée séduire, peut-être, si je n'avais été hélée, un peu plus loin, par une autre vitrine criaillante qui affichait déjà, en couleurs bien plus vives, sa première collection de printemps.
    C'est si curieux, ce langage impérieux de la mode, qui nous vend l'hiver, le printemps, l'été, l'automne, au mètre et dans toutes les tailles, et toujours en avance, comme des objets de désir aussitôt obsolètes - alors que les saisons qui vont en cercle autour de nous battent si calmement, si sûrement, pour nos coeurs de vivants, la grande pulsation d'éternité - ce rythme heureux de valse qui toujours recommence.

Publié dans Fables

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