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Les crevettes

Publié le par Carole

       Elle se souvenait très bien qu'au début, quand il avait commencé à fréquenter le bar, il venait toujours vers midi et demie. Puis, peu à peu, il avait pris l'habitude de passer bien plus tard, vers 13 heures 30, quand elle terminait son service. De s'arranger pour payer juste quand elle allait sortir prendre ses affaires, puis de gagner la rue en même temps qu'elle. Et un jour - quel jour ? elle ne le savait plus, peut-être même n'en avait-elle pas eu conscience alors -, un jour, cela avait commencé [...]
 
Suite du récit sur mon blog de nouvelles cheminderonde.wordpress.com

Publié dans Récits et nouvelles

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Violence

Publié le par Carole

Violence
 
 
C'est très violent, souvent, ce que disent les enfants. Aussi violent que ce qu'ils vivent.
Tout à l'heure, dans le tramway, une classe d'école primaire est montée avec fracas.
Ils font un bruit immense, ces petits êtres, lorsqu'ils sont réunis, car ils parlent sans cesse et sans cesse ils se parlent - et ils nous étourdissent, car nous, adultes, ne savons plus ce que c'est que parler, se parler, tout dire et tout se dire.
Quelques enfants s'étaient placés près de moi.
J'ai d'abord entendu le plus petit, le plus frêle. Il parlait à deux plus grands, plus vigoureux :
—C'est un soldat, ma maman. Et ma mamie, c'est deux soldats. Elle me bat... comme ça... Elle me donne des coups de poings... Moi, je suis pas un soldat.
—T'en fais pas, on va t'entraîner...
—Ma mamie, c'est deux soldats. Et mon papa, c'est mille soldats. Et mille, c'est encore plus que dix mille. Mon papa, c'est mille soldats. Moi, je suis pas un soldat.
—On va t'entraîner... Kevin, il a des bombes dans ses poches, ça peut être très utile. Et moi, j'ai des épées qui sortent de mes mains. Des épées magiques...
—Je suis pas un soldat...
 
La fin de la conversation, je ne l'ai pas entendue, car nous étions arrivés à mon arrêt et j'ai dû descendre. 
Je me suis dit qu'il y avait toute la violence du monde, dans ces paroles d'enfants. Celle qu'on subit. Celle qu'on veut infliger en retour. Toutes les humiliations, toutes les résignations, et toutes les révoltes. Tous les malheurs des hommes. Toute la violence du monde. La violence qui se sème et se cultive si aisément, mais qu'on n'éradique plus ni des coeurs des victimes ni de celui des bourreaux.
Et je les ai haïs, tous, la mère, la grand-mère et le père, toute la famille soldat acharnée à blesser cet enfant qui ne voulait pas faire la guerre.

 

Publié dans Fables

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Deuxième démarque

Publié le par Carole

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   On brade et on destocke. Affaires à faire. On solde tout. Deuxième démarque. Cinquante pour cent. Prix écrasés. Tout, on vous dit, tout est soldé : les sacs et les mendiants, les parapluies et la lavande. Les passants les perdants. Le progrès l'espérance. L'égalité la liberté. L'humanité sans la pitié. En soldes, à liquider. C'est pour rien, on vous dit. Cinquante pour cent. Deuxième démarque.
    Et la dernière démarque, c'est pour demain. A prix cassés, bien moins que rien, l'humanité et la pitié. La liberté l'égalité les perdants les mendiants les passants le progrès la lavande et les parapluies. Car tout doit disparaître. Au fond des sacs. Puisqu'on vous le dit.

 

Publié dans Fables

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L'ancien et le nouveau

Publié le par Carole

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Le numéro avait longtemps rouillé sur son vieux mur, alors on l'avait remplacé par un plus neuf, sur le ciment refait. Un plus pimpant, un plus fleuri...
Il n'en savait pas plus long, le nouveau, que l'ancien, et il disait même chose à peu près.
Mais il plaisait davantage. Puisqu'il était tout neuf.
Et puis il a vieilli, à son tour, un tant soit peu, le nouveau.
Même il est devenu, saison après saison, sans bien savoir comment, tout à fait désuet. Un peu penché, et craquelé. Si bêtement fleuri, vraiment commun, et si daté.
Il ne s'en doute pas, le nouveau, mais déjà on y pense, à le remplacer. Par un plus neuf. Qui n'en dira pas plus long. Mais qui plaira, bien davantage.
Et voilà. C'est comme ça.

 

Publié dans Fables

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Rouge jaune bleu

Publié le par Carole

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Il avait plu si obstinément, le monde s'était si longtemps trempé de gris, la vie s'était si lourdement enfoncée dans la boue de l'hiver, qu'un voile en tissu d'araignée semblait s'être posé sur nos pensées comme une cataracte.
Alors, quand le rideau du ciel s'est levé brusquement, dans le bleu du décor, sur le jaune fraîchement lavé, quand il a fait éclater le rouge sous les feux de midi, quand le vieux quai de Loire claquant comme un drapeau m'a fait signe là-bas de m'approcher dans la lumière, j'ai compris à quel point elle était juste, l'ancienne théorie qui ne reconnaît dans le monde que trois couleurs. Qui vous repeint en rouge, en jaune, en bleu, tout le sombre univers, et vous broie dans son pot à couleurs les idées noires comme poussière du temps.
Le gris qui nous cernait, on ne le savait plus, mais c'était de ce rouge, de ce jaune, de ce bleu qu'il avait toujours été pétri. Il avait suffi d'un rayon pour libérer ses couleurs et révéler son âme - étincelante, intacte.
 
C'est si simple parfois sur un vieux quai de Loire, l'espoir. Une couleur primaire.

 

Publié dans Nantes

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Chemin des Chats pendus

Publié le par Carole

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"Nantes abrite dans ses vieux murs des rues et des chemins qui évoquent en noms chantants des petites folies : Farfadets, Feux follets, Fantaisie, le Petit Bacchus, et ce mystérieux chemin des Chats pendus"
Pierre Bernard-Brunet, Un Grand lycée de province
 
"Les chats se jettent en foule dans les pièges où ils sont pris, on en assomme quelques-uns, d'autres sont condamnés à être pendus." 
Nicolas Contat, cité par Robert Darnton in Le Grand massacre des chats
 
 
 
    Dans le village où je suis née, il y avait un chemin des Loups pendus. Pour s'y rendre on prenait par la route de Merlette, vers la Croix boissée, puis on passait la ferme de la Frissonnière, et on tournait dans le sentier des Ailes, en descendant vers le gué du Villay, sur le ruisseau de Flammessec. C'était à cet endroit, juste avant le gué, qu'on tendait autrefois des pièges aux loups. Ensuite on les pendait agonisants sur les chênes du Bois des Ailes. Et on les laissait là, puants totems que les buses et les pies démembraient.
    Si l'on bâtit un jour une ville dans les bois de Merlette, il y aura peut-être, sous les tours et les entrepôts, un mystérieux chemin des Loups pendus, comme il y a à Nantes, dans les replis du bitume, un mystérieux chemin des Chats pendus... Qui sait ? Qui peut le deviner, où passeront les sentiers tremblants des humains, quand nul ne se souviendra plus des chasseurs et des loups qui s'abreuvaient jadis au gué de Flammessec?
    J'ai repensé à ce chemin des Chats pendus quand j'ai appris, la semaine passée, la mort de monsieur Bernard-Brunet, mon ancien proviseur. J'ai repensé à ce bizarre chemin de mots rêveurs qu'il avait tracé un jour pour parler de son vieux lycée, suivant les petits cailloux d'une fantaisie que je n'avais pas soupçonnée sous son habit sombre...
 
 
    Il faut prendre, en venant de la Loire, par la rue des Alouettes, puis grimper un moment par le raidillon du Bois Hardy, tourner face à la Boucardière, avant le grand moulin de l'abbaye...
    Il y avait autrefois sur ce pan de colline tout un coin de village, fleuri d'oiseaux et parfumé de ronces, caquetant de dindons et d'enfants, avec son bout de bois, son beau brin de ruisseau, et son moulin grinçant, et ses prairies à vaches. 
   C'était là que vivaient la mère Michel et le père Lustucru, les ramasseurs de peaux de chats, les gras cuisiniers filous qui mijotaient en plaisantant leurs civets de lapin. Et tant de rudes paysans qui faisaient quelquefois grand massacre de chats, et les pendaient aux branches avec les loups, afin de faire peur au démon, à la chasse Galerie, et à la peur elle-même...
   De tout cela, qu'est-il resté ? Quelques maisons basses et moussues au milieu des immeubles, des arbres à chevelures d'ancêtres gondolant les trottoirs, et ce vieux nom des Chats Pendus, un drôle de nom dont la ville n'a pu venir à bout, et qui résiste encore, comme un petit caillou de mémoire, un grain de sel des anciennes pièces de la foire et des charivaris, une motte de glaise grasse sous le goudron des routes, un miaulement de carnaval, une tache de sang mêlée au gazon bien tondu, quelque chose d'imperceptiblement encore là.
 
    La ville a beau se croire toute neuve et se rhabiller de béton, elle n'est qu'une vieille peau, où le temps a laissé tous ses plis. Un parchemin gratté et regratté, où l'on parvient encore à lire par bribes des histoires effacées que l'on ne comprend plus. Un palimpseste, où les vies d'aujourd'hui s'écrivent avec les mots d'hier, pour que demain se rêve encore.
    Que les morts marchent encore près de nous, de leur pas de flâneurs, par les gués et les prés recouverts de bitume.
    Et que nous le suivions, au bois de Fantaisie, le vieux chemin des mots englouti par la ville.

 

Publié dans Nantes

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La culture

Publié le par Carole

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    La culture... ? Vraiment ? Cela surprend quand on passe... Même cela choque un peu... enfin cela dérange...
   Et puis, en y réfléchissant, on se dit que c'est peut-être cela, en effet, à peu près, la culture. Un mot qu'on ne parvient jamais à saisir en entier, un mur qu'on doit sans fin s'acharner à repeindre. Une espérance à son début, une haute promesse toujours inaccomplie. Un passage invitant le piéton, et qui le fait attendre, avec son feu bloqué au rouge, exigeant la patience. Une vaste demeure aux fenêtres murées, au visage sévère, mais ardente et livrée à tous les désirs créateurs. Un immeuble vétuste, voué à la démolition, promis à la reconstruction. Un jardin clos qui pousse dru, débordant les murailles. Un chaos où chacun met son ordre, et sème son désordre. Un mot, quoi qu'il en soit, qu'il ne faut jamais se lasser de tracer, partout. Car c'est en lui que les chemins se croisent, sur le grand tableau noir où chacun vient écrire - à la craie d'écolier.

 

Publié dans Fables

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Soldes

Publié le par Carole

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Enfin quelqu'un le disait franchement :
pour changer un humain en bon consommateur,
cultivez dans son coeur les instincts du voleur.
 
Partout on brade, on solde et on liquide.
Alors on fouille, on pille, on en profite.
Un peu plus tard on fait les comptes, on s'en rend compte 
que l'on s'est enfermé dans une drôle de prison
avec le butin mort des objets désirés.
 
Qu'on l'a perdue au fond d'un sac, la clé
des $Onges, la clé de $OL, la clé des champs.

 

Publié dans Fables

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Empalée

Publié le par Carole

      14-feuille empalée rosier
 
 
   Et pourquoi me suis-je arrêtée ? Pourquoi ai-je un instant songé à l'admirer, et à la plaindre même ? Cela arrive si souvent, que l'on s'empale sur ses propres épines... que dans son mal enfin on se taille un costume, pour ne pas être nu dans le grand vent d'hiver.
 
 

 

Publié dans Fables

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Le monde en gris

Publié le par Carole

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Je ne savais pas, je n'aurais jamais cru... on a repeint le petit beurre. En gris. Le petit Lu, le petit Lulu de Nantes. En gris. Le petit brun aux oreilles d'écolier. En gris. Le petit jaune aux quarante orteils. En gris. Le petit bleu dans son parc à étoiles. En gris.
Et moi qui ne savais pas, moi qui n'aurais jamais cru... 
Je me demande qui nous repeint ainsi le monde, pendant que nous dormons. En gris.
Les biscuits et les astres, le soleil et la lune. En gris.
Les murs, les grands chemins, les voyages et les jours. En gris.
L'avenir, l'espérance, les lendemains qui chantent. En gris.
Pourtant, quand on regarde bien, on voit encore trembler, derrière les fentes, des éclats de couleurs, des papillons de joie, de clairs regards qui veillent.
Il suffirait d'écarter les grilles comme des doigts humains, de laisser la lumière s'écouler en eau vive.
Il suffirait de secouer le béton comme un grand rire d'enfant, sous la poussée du lierre, des oiseaux et des fleurs.
Il suffirait de presque rien pour que le gris s'évade, pour qu'il fasse le mur. Qu'il cesse de broyer le noir des grises mines, qu'il se fasse la belle et se fasse la malle aux beaux habits de ciel. 
 
Mais qui s'obstine, pendant que nous rêvons, à nous repeindre ce vieux monde ? En gris.

 

Publié dans Nantes

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