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Eclipse

Publié le par Carole

 

La photo est ratée, forcément. Beaucoup trop floue.
Mais Elle, suspendue dans le ciel par le fil de l'éclipse, je la vois encore si nettement.
 
Belle. Comme toute rencontre.
Double. Comme tous ceux qui s'aiment.
Et solitaire enfin. Comme on doit se quitter.
 
Obscure et lumineuse
et si pâle et si rouge
sur l'eau bleue de la nuit
où roulent des étoiles
fleuries comme des îles.
 
Coeur ouvert et battant
suspendu tout sanglant
accroché tout vivant
au long fil de l'instant.
 
Coeur d'en haut hésitant
entre lumière et ombre
 
comme tous ceux d'en bas.
 
 

Publié dans Divers

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Le bonheur du jour

Publié le par Carole

Le bonheur du jour
Un bonheur du jour, ce fut d'abord l'un de ces petits secrétaires où les dames d'autrefois s'adonnaient au bonheur d'écrire - une lettre, un roman, un poème, une page de journal intime, un petit rien de chaque jour que leur plume brodait et rebrodait en rondes sur un papier parfumé, dans le calme secret de cette "chambre à soi " que Virginia Woolf leur souhaitait à toutes.
Marc Augé nous le rappelle au début du livre qu'il a consacré aux "Bonheurs du jour", qu'il appelle aussi les "bonheurs malgré tout", et même parfois les BMT, si minces et si légers dans leurs abréviations bourdonnantes d'insectes, humbles souffles de joie qu'on peut cueillir partout, même aux terres arides de la souffrance, du deuil ou du simple ennui.
 
Le bonheur est maintenant une idée à la mode en Europe et ailleurs, et nous nous croyons tenus de le cultiver dans les parterres ordonnés et modernes de nos programmes de "bien-être" et de nos manuels de "bien-vivre", pour le faire fructifier et grandir en bons propriétaires, écartant de lui la douleur et l'échec comme vils parasites, avant de le replanter comme un chou lorsqu'il décline, à la mode nouvelle de chez nous, dans un terreau de meilleur rendement. 
 
Souvenons-nous, pourtant, qu'il n'est de vrai bonheur que celui qui surgit et se fane comme un beau jour qui passe. 
Et de ces plumes anciennes et démodées, courant sur le papier dans cette poussière de soleil où tournoie la mémoire, maladroites, délicates, légères et obscures comme un destin de femme, essayant chaque soir de le dire, de l'écrire, d'en retenir un peu l'éclat.
Pour que vécu une première fois, il soit vécu une deuxième fois encore, 
l'humble bonheur du jour,
et commence en nos coeurs son petit bout de chemin vers cette éternité qu'il n'atteindra jamais.
 
 

Publié dans Fables, Lire et écrire

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Après

Publié le par Carole

Après
C'était étrange de les voir démontés et défaits, dans la boutique à louer, les mannequins footballeurs qui avaient si longtemps fait la haie.
 
C'était si curieux, aussi, ce soir, de voir chacun se passionner pour "son" équipe, d'entendre qu'on disait "nous" qu'on disait "on", et qu'on disait "la France" et qu'on disait "la Croatie", comme si vraiment onze artistes du ballon pouvaient, modernes Horaces ou modernes Curiaces, être à eux seuls leur peuple.
C'était si troublant, ensuite, de voir tant de gens secouer des drapeaux comme au temps des grandes guerres. Et plus troublant encore, à la  télé, de voir un coq géant s'afficher sur le vieil arc des triomphes napoléoniens...
 
C'était un peu la guerre, au fond. Et justement, non : ce n'était pas, ce n'était plus la Guerre. 
C'était le bonheur d'être ensemble, de se passionner pour le même spectacle, de crier les mêmes mots, de retrouver enfin, riche ou pauvre, la vieille égalité des conscrits et des "bleus". Sans les canons et sans les morts.
Alors, comment ne pas s'en réjouir ?
 
Tout de même. Je me demande s'ils ne vont pas, d'un coup, se sentir un peu seuls, demain, ceux qui étaient si heureux tous ensemble devant leurs écrans géants. Ceux qui faisaient la fête et qui nous klaxonnaient leur joie.
Quand tout sera vraiment fini.
Qu'on rangera dans le carton aux souvenirs les cris de victoire et les trompes des klaxons.
Dans l'ombre et la poussière de leur décor défait, comme au fond des vitrines qu'on démonte,
un peu seuls un peu tristes. 
 
 
15 juillet 2018, au soir de la finale de la Coupe du Monde de football
 

Publié dans Fables, Divers

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Vente aux enchères

Publié le par Carole

Vente aux enchères
Rue Sainte-Catherine il y avait un petit attroupement. Des jeunes femmes, sorties pour fumer d'une boutique voisine. Des camionnettes garées serrées. Des gens qui ralentissaient le pas pour regarder.
Quelqu'un a dit : "C'est aujourd'hui, alors ?". Et quelqu'un d'autre a dit : "C'est triste, quand même".
 
J'avais compris enfin : le vieux magasin de jouets, installé là depuis bien avant la naissance de mes enfants, le vieux magasin de jouets dont la vitrine débordante pâlissait depuis tant d'années, le vieux magasin de jouets où on avait oublié de décrocher une petite étoile de Noël, le vieux magasin de jouets se vidait aux enchères.
La porte était ouverte. Il y avait du monde. Je suis entrée.
Une dame à talons hauts, en robe blanche et courte, était en train d'adjuger des numéros.
"Lot 129, c'est Sophie la girafe... un lot de jouets pour bébé... on va commencer à 300. Qui met vingt ? 320. Qui met vingt ? 340..."
Sophie la girafe... elle avait des yeux si doux, quand les petites mains la pressaient...
"440 une fois, 440 deux fois..."
 

 

Elle est partie à 440, pour finir, la girafe aux yeux étonnés.

"Lot 130... on va commencer à 400... Qui met 20 ?..."
J'ai préféré sortir. 
Toute la rue au soleil se mirait derrière moi, sur la vitrine morte où frissonnait l'étoile. Les jeunes vendeuses étaient toujours là, silencieuses, à regarder de loin, à laisser la fumée dessiner dans l'air bleu des volutes fugitives.
 
Quand je suis repassée, au retour de ma course, on s'affairait à entasser dans les camionnettes de grands sacs de plastique transparents tout remplis de jouets.
J'ai cherché le numéro 129...
Les grands yeux de Sophie se sont tournés vers moi.
Qu'ils étaient gris, sous le plastique épais.
Qu'elle était donc passée, la vitrine aux jouets.
Qu'il était donc pâli, le monde ce matin.

Un instant j'ai cru que c'était mon regard qui se troublait et s'emplissait de brume.
Un peu comme quand on est tout au bord de pleurer et que la vue commence à se brouiller.
Mais non, c'était seulement le temps, laborieuse araignée, qui avait tout repeint de poussière. Et de petites mains d'enfants, dès le prochain Noël, reteindraient couleur joie les jouets revendus pour pas cher - sur internet, où tout est toujours neuf.
 
 
"Il va falloir y aller", a dit l'une des jeunes femmes en soupirant. Mais elle est restée immobile, à écraser rêveusement son mégot entre ses doigts bagués.
 

 

 

Publié dans Nantes

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