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Le sens de la vie

Publié le par Carole

Le sens de la vie
C'était jeudi, en fin après-midi, je flânais au bord de l'Erdre. J'avais pris par le pont de la Motte Rouge et je m'étais amusée à photographier, en bas, tout près des piles, ce "sens de la vie" aussi bleu qu'un poisson qui nous invitait à remonter joyeusement le courant.
Un peu plus loin, un long héron paisible au grand bec souple et fin comme un pistil attendait, haute fleur grise en barque sur l'eau grise, le vent qui le ferait oiseau.
Tout était si beau, si lent, si tranquillement arrêté sur les aiguilles d'un jour de mars et de printemps douceâtre. J'étais si bien, heureuse, au bord de l'eau, à regarder se lier et se délier comme d'étranges destins les vagues hypnotiques. 
Le sens de la vie
J'aurais pu en rester là, ranger avec tant d'autres, dans un coin de la boîte à pêche où tant d'images vont s'éteindre, petits poissons perdus de la mémoire, ces impressions bleutées d'un après-midi de printemps bruineux.
Mais on ne peut pas toujours, on ne peut presque jamais en rester où l'on avait cru pouvoir s'arrêter. 
Voilà qu'il y avait une autre histoire. Voilà que tout à l'heure, dans le journal local, j'ai lu que vendredi matin, très tôt, à l'endroit précis où j'avais rencontré, jeudi soir, près d'une fleur de héron, "le sens de la vie"
on avait trouvé
le corps noyé d'une vieille femme
là exactement là
où je m'étais tenue
on avait trouvé
un corps de suicidée
flottant entre deux eaux 
oscillant dans la vase
comme un poisson perdu
tout contre les piles du pont de la Motte Rouge. 
 
J'ai revu avec malaise ma promenade de jeudi. "Elle" était déjà là, peut-être, sous la peau de reflets de l'eau grise, pendant que je m'amusais du "sens de la vie", pendant que je regardais le héron s'envoler.
Je me suis souvenue de cette nouvelle de Maupassant, "Sur l'eau", où un pêcheur ramenant au soir son bateau, séduit par la splendeur de la rivière, jette l'ancre pour fumer sa pipe en paix sous la lune, finit par découvrir, après une nuit cauchemardesque, que son ancre immobilisée est accrochée à un cadavre. 
J'ai repensé à cet étang magnifique, près de Moisdon, dont j'aimais tant les rives d'ardoises et de bruyères, avant de découvrir brutalement qu'il avait été bordé sous Vichy par un camp de concentration.
 
Il y a bien des mondes en ce monde. Des mondes en paix, des mondes heureux, et d'autres harcelés de douleur. Des mondes que tout semble séparer, mais qui en réalité se côtoient et se poursuivent comme des plaques tectoniques tout autour de nos vies. Parfois il arrive que le paisible continent où nous pensions nous tenir en joie se retrouve d'un coup plaqué tout contre l'Autre. Alors tout tremble et tout vacille. Il fait nuit en plein jour et les fantômes rôdent où nous pensions flâner.
En littérature, on appelle cela le fantastique. Et dans la vie quotidienne, je ne sais pas.
 
28 mars 2015

Publié dans Nantes

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Heure d'été

Publié le par Carole

Eglise Sainte-Croix, Nantes

Eglise Sainte-Croix, Nantes

Une petite pensée ce matin pour celui qui va grimper sur l'échelle, tout près des anges, pour s'introduire dans le beffroi comme un hibou, et faire tourner les aiguilles du côté de l'été.
Dans ce monde où les pendules auraient tellement besoin d'être, toutes et partout, remises à l'heure, c'est une lourde, c'est une douce tâche : prendre l'échelle, et s'approcher du ciel, accompagné par la fanfare du paradis, pour tourner lentement, sous le soleil d'en-haut, la grosse clé du temps.
Horloger laborieux, remettre en bon ordre céleste un petit bout du vaste monde. Et se dire que c'est déjà ça. Avant de redescendre dans le tumulte affolé des rues. Et de ranger la clé dans le tiroir plein d'ombres.
 
29 mars 2015, passage à l'heure d'été 

Publié dans Nantes

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Le dieu dans l'arbre

Publié le par Carole

Le dieu dans l'arbre
On l'avait tronçonné étêté amputé retaillé et scalpé... et, contre toute attente, on avait libéré le dieu qui se cachait dans l'arbre.
Etirant dans l'air bleu ses grands bras engourdis aux paluches de gorille, humant le ciel de ses naseaux d'ours, secouant sous le soleil sa tignasse de porc-épic, tandis que craquait dans la mue son écorce d'iguane, il hésitait encore, entre sommeil et jour, à ouvrir ses yeux clos de tortue paresseuse.
Bientôt il bondirait, emportant dans ses bois des feuillages et des nids, comme un renne de l'année.
Un dieu, je vous dis, un dieu, planté en vieux totem dans le champ du printemps, prêt à prendre sa course pour l'éternelle résurrection.
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Mademoiselle Callista

Publié le par Carole

Mademoiselle Callista Beauté

Fidélité

    Les morceaux de bristol forment un petit tas triste dans leur corbeille d'osier. Elle en avait commandé bien trop, à l'époque, de ces cartes de fidélité. C'était naïf, aussi, d'avoir fait imprimer ainsi, solitaire, égaré, le mot "fidélité". Il a un air si nostalgique, maintenant, ce pauvre mot perdu, au-dessus des petits cases grisées qu'on ne tamponnera plus jamais. Fidélité. Fidélité à quoi ?  [...]
 
Suite à lire sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com

Publié dans Récits et nouvelles

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Banc

Publié le par Carole

    Nantes - Jardin des Plantes - 20 mars 2015

Nantes - Jardin des Plantes - 20 mars 2015

J'aime, au Jardin, regarder les gens qui regardent. J'aime les contempler, ceux qui contemplent.
Et j'aime, dans les vieilles allées redessinées par Claude Ponti en sourire et en fantaisie, suivre des yeux ceux qui viennent s'asseoir sur ces étranges bancs de bois ondulant comme la houle. 
Ils s'étaient assis l'un à côté de l'autre, le vieil homme et l'enfant. L'un s'était posé tout en bas, près de la terre vivante. l'autre s'était placé plus haut, un peu plus près du ciel. Et ensemble, pour un moment si peu de temps rien qu'un instant, immobiles dans le grand flot des jours, ils regardaient le monde depuis la même vague.

Publié dans Nantes

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Printemps

Publié le par Carole

Printemps
Posé comme un poème inachevé sur "l'aponogéton distique", le vieux nid les avait attendues patiemment tout l'hiver. Car elles rentrent toujours, les poules d'eau du Jardin, au logis des années précédentes
Mars était revenu. On les avait vu s'évertuer, transportant brindilles et feuillages, pour enrichir la strophe trop longtemps délaissée.
Puis elles avaient couvé, l'une après l'autre, toutes rêveuses, leurs gros oeufs pailletés d'incertain comme des vers sans rime.
Et tout à l'heure ils étaient nés, brisant d'un frisson leur coquille, ouvrant leurs yeux ébouriffés, happant la vie dans leurs becs palpitants.
Cinq petits printemps qui rimaient au soleil, scandant le désir et la faim, assonant l'avenir. Un quintil.
C'est un malin, le poète du Jardin. Un grand artiste, qui nous écrit le temps avec des mots vivants.

Publié dans Nantes

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La salle d'attente

Publié le par Carole

salle-d-attente.jpg
 
    Dans la salle d'attente si étroite et si tiède, le malade s'ennuie. C'est long d'attendre ainsi.
   Par la porte bien close du cabinet tout proche passent des voix confuses, l'une hésitante et molle, l'autre assurée et forte. On prend les choses en main, là-dedans, au moins. Les voix parlent sans hâte derrière la porte close, cela fait un bruit doux qui le berce.
    Le malade s'ennuie, c'est bon d'attendre ainsi.
    Le soleil du balcon danse au rideau qui mousse, le vieux tapis à fleurs est sous les pieds qui battent la mesure des secondes un grand pré piétiné. Et le fauteuil canné aux longs bras dépaillés s'étire comme un baigneur. 
   Des casiers de métal, tassés contre le mur, remplis de fiches en ordre alphabétique, forment une paroi d'écorce brune et blanche, que le soleil joueur s'en vient escalader. Il y a là rangés des milliers de malades et de maladies... rien n'est plus commun que la maladie, pourquoi se croire unique ? se dit le malade placide.
    Le soleil ne semble pas se lasser de danser, le vieux fauteuil s'étire à l'été revenu. Le malade se sent vraiment tout à fait calme.
  Sur la petite table, des magazines anciens forment des taupinières fripées, colorées et bavardes... Le malade partage le clair bonheur d'Eva et les soucis de Charles, la noble nostalgie des empereurs déchus...  Oui... le miracle existe... on a des raisons d'y croire... puisque c'est reparti avec Eduardo... 
    Le malade est si bien maintenant... il est heureux de s'ennuyer. Il y a si longtemps que son corps douloureux ne l'a pas laissé s'ennuyer doucement. Le temps s'étire au grand soleil, le malade a le temps d'attendre, il a tout le temps devant lui... autrefois il aurait dit qu'il avait du temps à tuer... mais c'est une expression qu'il évite désormais.
    Le malade est si bien. Il sursaute et se trouble quand enfin on l'appelle. Le voilà trébuchant dans le cabinet sombre, nu comme un mort au jugement dernier, sous le regard qui sait. Et tout, à ce moment, a l'air d'aller trop vite. Un vertige le prend. Mais la voix grave et assurée prononce le verdict et lui donne les ordres, dicte les prescriptions. Non, rien ne presse en fait, puisqu'il y a encore tant d'autres rendez-vous à prendre, tant de confrères à consulter, tant de fiches à remplir, tout un avenir balisé qu'on lui trace, de clinique en laboratoire, de laboratoire en hôpital.
    Quand il sort, le malade hésite un peu sur le seuil, il jette un coup d'oeil sur la salle d'attente bien remplie maintenant, d'autres malades s'ennuient là à sa place, feuilletant les journaux, suivant des yeux le rayon de soleil étourdi pendu comme un vieux chat au rideau fatigué, traçant du bout du pied les fleurs manquantes sur la prairie du tapis râpé, consultant vaguement leur montre ou leur téléphone, des gens qui ont le temps, eux aussi...
    Il marche dans la rue, avec ses ordonnances, ses radios, ses analyses et ses mesures. Il est tard maintenant... c'était si long, c'est vrai, tout à l'heure, c'était si long, quand il s'ennuyait tant, dans la salle d'attente... Le malade repense à ce qu'on lui a dit, des mots précis, des mots savants, des mots déjà dits à tant d'autres... des mots bien durs tout de même, en y réfléchissant. Mais sur la liasse de prescriptions tout est clairement noté, tout est prévu et ordonné, on va le prendre en main, pourquoi donc s'inquiéter... ?
    Il fait froid dans la ville, que de nuages amassés soudain... c'était l'été pourtant, là-haut, il n'y a qu'un instant... Le malade se retourne pour jeter un coup d'oeil à la fenêtre claire, au-dessus du balcon fleuri où le soleil jouait comme un vieux chat. Comment la retrouver ? Plus rien ne la distingue, sur la façade morne de cet immeuble gris qui le regarde sans le voir, de tous ses yeux aveugles, indifférents.
   Ce n'est qu'une fois passé le carrefour si sombre que le malade comprend : l'attente, la longue attente, c'est maintenant qu'elle vient de commencer...

Publié dans Fables

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A quai

Publié le par Carole

A quai
Un quai désert et sombre. Sur l'unique banc de fer, une femme s'assied. Agée, usée, pauvres savates aux pieds, manteau gris pauvreté sur ses épaules maigres. L'air dur, hostile. Elle mâche on ne sait quoi comme on mâcherait un mauvais coup.
J'attends la suite.
Voilà, il entre en scène en boitillant, il la suivait. Encore plus vieux, encore plus gris, encore plus pauvre, pitoyable et voûté, il s'approche lentement de la femme. Il lui demande quelque chose à l'oreille, et, comme il murmure à la façon des sourds et des acteurs, j'entends nettement que c'est "un peu d'argent".
Elle jubile.
— Non ! T'as qu'à travailler.
L'homme s'éloigne, tête basse, l'air honteux, résigné. Elle a cessé de remâcher, et crache maintenant son sourire de triomphe. Puis, quand le train s'arrête pour la prendre, elle grimpe alertement, rajeunie de mépris. Lui reste tout là-bas, au bout du quai, de plus en plus fatigué et voûté, à regarder de loin. 
 
Je ne sais pas pourquoi, j'ai eu l'impression qu'ils se connaissaient bien, ces deux-là. Que sans doute ils l'avaient souvent jouée, cette scène étrange, grotesque et brutale comme une bribe de Beckett. Un sketch écrit d'avance par l'éternelle humanité, où elle aurait été le maître et lui l'esclave. Deux rôles d'ailleurs parfaitement interchangeables. Aussi misérables l'un que l'autre, évidemment.

Publié dans Fables

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Les murs

Publié le par Carole

Les murs
Au "pocheur" inconnu qui transforme en décor le ciment de la ville, et fait de nos trajets de lents chemins de ronde. A l'artiste modeste qui pose sur nos murs comme sur des cimaises ses grands cartons pensifs, peints à l'encre des nuits pour les petits du rêve.
 
 
Tant de mystères grandissent dans ce qu'on croit bâtir
Et tant de nids éclosent de tout ce qu'on détruit.
 
Les lents chemins qui mènent vers la vie qui s'éveille
Naissent aux terriers profonds des ombres qui sommeillent.

Publié dans Fables

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La souche et le jet d'eau

Publié le par Carole

La souche et le jet d'eau
Qu'il y avait eu un décès au Jardin, je le savais déjà : j'avais vu en passant le petit tas de bûches, au pied des vieux Centaures de l'allée des camélias.
 
Et voilà que le tronçonné, l'effacé du Jardin, le pourrissant cadavre, c'était lui. Celui qui depuis tant d'années se penchait vers l'étang, fasciné de reflets.
Mort ? Il n'en était pas moins paisible, souche endormie sur ses longues racines, déjà semée d'insectes en marche.
Tout près le jet d'eau s'élançait, retombait, et s'envolait encore, colombe aux ailes ouvertes.
Les grands arbres d'hiver gréés de branches noires portaient dans le vent bleu, comme des caravelles, les nids tremblants là-haut où veille le printemps.
Les chemins du Jardin tournaient et tournoyaient avec l'éternité.
Et les oiseaux couvaient sur les branches du monde les aubes et les ombres éclos comme gémeaux dans tous leurs oeufs pépiants.
 
Il n'y avait finalement de tranchant, de définitif, d'exsangue et de douloureux que cette cicatrice pâle qu'avait laissée la tronçonneuse.
Comme pierre tombale.
Absurdement humaine.
Solitaire elle seule.
 
Il n'y a pas d'arbres morts au Jardin.
On ne tranche on ne saigne on ne couche à terre que les mémoires humaines.
 
11 mars 2015

Publié dans Nantes

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