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fables

Ecume

Publié le par Carole

ecume-branche.jpg
 
Cette brindille de l'automne plantée sur le rivage comme une croix rustique, combien de temps faudrait-il au courant pour la coucher sur le sable ? Combien de temps pour l'emporter au loin, radeau léger, insecte du flot boueux ?
Elle était si fragile, déjà dénudée par l'hiver, et de si peu de poids bientôt dans le grand naufrage.
Mais sur ce brin de vie infime, luttant contre le courant noir, s'accumulait et grandissait l'écume délicate - dentelle de l'eau douce, souffle ajouré des vagues. Et la mince brindille était dans son écrin neigeux comme un rameau d'ébène.
 
Souvent, ce n'est pas aux êtres qu'on croit forts que la beauté se donne,
ce n'est pas vers les grands chênes qu'on admire qu'elle s'avance
heureuse, généreuse.
Souvent, ceux qu'elle choisit,
sans bruit,
ceux qu'elle choisit vraiment,
à qui elle passe au cou le collier de pure écume,
sans rien en dire à la rumeur,
ce sont ceux simplement, si délaissés sur leur rivage,
qui savent se tenir au bord des vagues,
humbles et droits,
pour la regarder bien en face,
sans regret de la vie,
avant d'être emportés
plus loin
qu'eux-mêmes.

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Façades

Publié le par Carole

facade-nuit-2.jpg
 
 
    A chaque fenêtre veillait un pan de nuit. Et le vide se penchait à tous les étages. Décor de théâtre étayé par d'énormes poutres. Masque de pierres usées. Il ne restait rien d'autre des beaux immeubles anciens qui s'étaient dressés là, avec leurs couloirs tapissés de fleurettes, leurs chambres un peu vétustes, leurs cheminées de marbre, et leurs plafonds moulurés noircis par les années.
   C'est ainsi qu'on procède aujourd'hui dans les centres historiques des villes. On nettoie de leurs os les vieilles bâtisses, on ne laisse que les yeux et la douce peau claire du visage. Puis, contre ce masque mince, on colle de vastes édifices modernes et somptueux : hôtels de grand luxe, succursales de banques, ascenseurs silencieux, parois de miroirs et d'inox, longs couloirs où les portes numérotées ne s'ouvrent qu'à l'appel de codes mystérieux, bureaux climatisés où se décident des destins.
    De la rue, quand le nouvel ensemble est fini, on ne remarque rien : la vieille façade continue à faire illusion. Il y a même des promeneurs distraits pour jeter, en levant les yeux, un regard admiratif et ému sur tant d'ancienne perfection.
 
    De bien des choses qui forment aujourd'hui notre univers, on pourrait dire cela : la façade est restée identique, mais ce n'est plus qu'un masque mince, derrière lequel un autre monde s'est construit. On marche dans la rue qu'on croit toujours la même, un peu distrait, sans s'apercevoir de rien.
    On a assisté au chantier, on a vu s'affairer les démolisseurs et les rebâtisseurs.
    Mais, puisque le vieux visage est encore là, intact, et même bien gratté, on n'y croit pas vraiment.
    Rien n'a changé, tout a changé pourtant.
   On va sans prendre garde, au risque qu'un jour la façade fragile et mal collée ne s'effondre sur nos illusions, laissant à nu la gueule noire du nouvel édifice, si familier, si inconnu pourtant, et si sombre sans son sourire amène de pierre blonde usée.

Publié dans Fables

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Secret

Publié le par Carole

puits vu d'en haut
 
 
Secret
 
Gardien de l'ombre
Maître des nuits sans fond
Tu remontes du puits
Des mots grinçants comme des chaînes.
 

L’eau noire que tu nous donnes
N’étanche pas la soif
De nos mémoires errantes
Et l’écho qui te cherche
De paroi en paroi
Jamais ne te rencontre.
 
 
Caillou qui tombe
Notre cri
Pierre qui s’effrite
Notre vie
Sur la margelle grise
T'épiant dans ta fuite.
 
 
Et là-bas,
Tout en bas
Cette lumière qui tremble
Sur la peau brune et luisante de boue
Du vieux fauve qu'on voit
Remuer dans ses rides
Sans répit nous appelle
Au vertige
De savoir.
 
 
Dans le silence des vies grillagées
Sur ton reflet tu veilles 
Sphinx accroupi
Aux portes closes
De notre enfer
 
Secret.

Publié dans Fables

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L'arbre et le grillage

Publié le par Carole

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On ne l'avait pas remarqué sans doute quand on avait posé le grillage. Il était si petit, à peine une touffe de feuilles dans l'herbe, peut-être même un simple gland que l'automne avait égaré sous la mousse. Et personne n'avait pris la peine de l'arracher. Ou bien il était déjà là, jeune pousse incertaine et fragile, mais le tronc mince était à un peu de distance de la clôture, et on n'avait pas eu le coeur de l'abattre.
Puis il avait grandi, il avait forci, n'ayant pas d'autre choix que de s'appuyer sur le fer qui lui mordait la peau mais soutenait son élan.
Il était devenu finalement un arbre accompli, le plus beau, le plus grand de la haie, le plus chargé d'oiseaux et de nids pépiants.
 
Il y avait dans son écorce tant de blessures, tant de plaies corsetées par la ligature de métal.
L'acier lui était entré dans la chair et il s'était fiché peu à peu tout au fond de son être comme un os aigu.
C'était un arbre étranglé, un arbre dans les fers, mais qui n'en élevait que plus haut son libre et léger feuillage,
 
semblable à bien des hommes :
de ce qui l'opprimait faisant le support de sa vie,
de ses morsures nourrissant son écorce,
de sa douleur faisant un tronc solide,
fermement s'appuyant sur ce qui le blessait.
 
Et nul n'aurait su dire,
depuis tant d'années qu'il avait remâché ce fer,
si le grillage était son mal
d'enfance et de toujours,
ou s'il était, de tous ses biens, le plus précieux.

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Pianos

Publié le par Carole

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J'étais arrêtée au feu qui fait l'angle de la rue de la Mainguais, juste sous le mirador de cette grande prison neuve qu'on a bâtie aux marges de la ville, quand, levant un instant les yeux, j'ai vu passer, très haut, bien plus haut que le mirador, tout un vol d'oiseaux merveilleux. C'était une troupe de nuages poussés par le vent, qui glissaient sur les grandes lignes blanches et parallèles que des avions avaient dessinées sur l'air bleu. On aurait cru une portée de ciel, promenant dans les airs une mélodie légère et silencieuse, plaçant ses mesures mystérieuses entre les filets de vapeur condensée.
Mais sur terre le feu est passé au vert, le flot des voitures m'a brutalement poussée, et je n'ai pu m'arrêter que bien plus loin, mal garée sur un arrêt d'autobus.
Il n'y avait évidemment plus rien à photographier. Dans le ciel le vent avait effacé les lignes de la portée, et les nuages effilochés, errant seuls et sans direction, tombaient en se froissant dans le beau néant bleu, comme des bouts de chansons abandonnés dans la corbeille par le Compositeur distrait. 
J'allais repartir, quand, devant moi, j'ai vu, soudain, le mot PIANOS. 
J'avais pris la route que m'indiquaient les nuages ; ils m'avaient entraînée dans un coin inconnu et particulièrement rébarbatif de cette banlieue industrielle où j'évite toujours, d'habitude, d'aller me perdre. Mais c'était vrai, on vendait des pianos tout près, dans un hangar gris, près d'un affreux entrepôt de meubles, sous les pylônes hérissés de câbles, au bord des containers rouillés. Des pianos... ici... ! Et des pianos de toutes les couleurs, des pianos blancs, des pianos rouges...
Je l'aurais toujours ignoré si je n'avais suivi, sans hésiter, depuis le mirador, la mélodie du ciel...
 
C'est peu de chose, ce parcours de banlieue que je vous raconte là, une anecdote infime... Il n'y a rien de surprenant, je le sais, à ce que les marchands de musique s'installent à la périphérie des villes, quand les loyers sont chers - et puis, bien sûr, la photo est manquée...
Mais je voulais vous le dire, tout de même : ces nuages chantonnant par-dessus les prisons, ces routes vaporeuses tracées par de lourds avions, ces pianos colorés dans des entrepôts tristes, et ce chemin surtout, sous les hautes portées de brume - c'était le frêle chant du monde, l'appel fragile de la beauté, s'en venant jouer pour nous, quand nous n'y pensions plus, son petit air tranquille.

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Soir d'automne en banlieue

Publié le par Carole Chollet-Buisson

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"Je n'ai pas oublié, voisine de la ville
Notre blanche maison, petite mais tranquille ;
Sa Pomone de plâtre, et sa vieille Vénus
Dans un bosquet chétif cachant leurs membres nus,
Et le soleil, le soir, ruisselant et superbe..." (Charles Baudelaire, Tableaux parisiens)
 
 
Car la terne banlieue, voisine de la ville, a aussi ses soirs doux, et ses bancs solitaires, ses réverbères ardents, et ses automnes en feu, près des pavillons de parpaing et des terrains de sport.
Et la beauté, cette flâneuse de la vie, ne s'en tient pas aux lieux qu'on lui désigne, mais sait s'asseoir partout sans se faire remarquer. Et nous attendre. Et nous faire signe aussi, à nous qui faisons route à l'ombre, sur les chemins étroits de notre quotidien.

Publié dans Fables

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Cadenas et coeurs de papier

Publié le par Carole

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Je marchais, profitant des derniers beaux jours de l'année, quand j'ai remarqué ce cadenas enfoui dans le lierre, si bizarrement inutile, accroché au grillage qui séparait des prés voisins le petit chemin où je me trouvais... en m'approchant j'ai compris : c'était un naïf et rustique cadenas d'amour, comme on en voit par milliers à Paris, alourdissant de tout leur poids le mince Pont des arts arqué au-dessus de la Seine - faut-il qu'il m'en souvienne ?
Ce cadenas des prés était si pauvre, si simple avec son coeur maladroitement tracé et à peine visible, que j'ai pensé que c'était un enfant, ou un très jeune adolescent, qui l'avait accroché là.
Retenir l'amour, ce dieu volage, en l'accrochant par un cadenas aux ponts des villes ou aux grillages des bords de route ? Et puis jeter la clé, oublier que le cadenas s'ouvrira de lui-même, quand l'eau des jours l'aura rongé de rouille, quand le rude frottement du temps l'aura usé... non, ce n'est guère prudent...
 
Cela m'a rappelé une petite scène à laquelle j'avais assisté, le mois précédent.
J'étais, cette fois, dans un parc de la ville, un samedi du mois d'août, jour de mariages et de photos de mariage. Les pelouses, les allées, les massifs, tout était jonché de coeurs de papier blanc qui, doucement remués par la brise, paraissaient clignoter au soleil du soir comme ces fleurs légères qu'on appelle monnaie du pape.
Etrange symbole, pour des mariés du jour, que ces coeurs illusoires et fragiles, monnaie légère du bonheur emportée par le vent...
Une petite fille s'affairait à les ramasser, tandis que sa mère - femme maigre et lasse à voix rauque - lui défendait obstinément de continuer. "Laisse donc ça", disait-elle rudement, et elle ouvrait les mains de l'enfant pour jeter ses trésors déjà fripés et éteints, elle la tirait par le bras pour l'empêcher de courir ramasser sur le sol les morceaux de papier encore intacts... 
Mais l'enfant lui échappait toujours et courait, courait, fascinée, sans rien écouter, après les petits coeurs qui s'envolaient... elle les ramassait, rapide et agile comme un Gavroche du gazon, et les entassait bien serrés dans ses paumes, tout chiffonnés et écrasés, tandis que la mère, de plus en plus contrariée, appelait d'une voix de plus en plus rauque : "Mais laisse donc ça... c'est sale...!"
 
O vous, vous tous, tant que vous êtes,
enfants, mères usées, mariés du samedi après-midi, 
de l'amour il vous faudra encore beaucoup apprendre.
 
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Publié dans Fables

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Au bord de la route

Publié le par Carole

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J'ai croisé cette femme hier soir, elle attendait sur le bord de la route, à côté de l'horodateur, à la sortie du parking, près de son gobelet de mendiante.
C'est dur d'être debout quand on est enceinte, mais pour mendier, c'est plus facile. Et puis ce n'était qu'une Rom...
Tant de controverses en ce moment sur ces Roms, n'est-ce pas ? Voilà une question sérieuse, une question pour journalistes, avec arguments et contre-arguments. Il y a des gens qui savent. Beaucoup qui croient savoir. Quelques-uns qui décident.
Moi, je ne suis ni des uns ni des autres.
Je me suis seulement demandée, quand j'ai pris la photo, si cette femme qui allait bientôt donner la VIE connaissait assez de français et savait assez bien lire pour comprendre le sens de ce mot majuscule, posé sur le grand sac bleu qui renfermait sa fortune du jour. Que contenait-il, du reste, ce baluchon de plastique qui était à ses pieds toute la VIE : prises de poubelles, épaves de trottoirs ? ou plutôt dons venus du tout proche Secours Populaire ? - étrange caverne d'Ali-Baba à l'envers d'où on voit sortir chaque jour de longues, lentes cohortes de pauvres, chargés de ce qu'il faut, à peu près, pour continuer la route, rester encore un peu en VIE.
Puis j'ai pensé à un autre mot : PRO-GRÈS... j'avais appris autrefois, quand j'étudiais le latin et l'histoire, que c'était la belle marche en avant, radieuse et triomphante, des peuples allant ensemble vers l'avenir, la splendide avancée d'une grande humanité réconciliée, sur l'avenue glorieuse des civilisations qui fait la VIE si belle, qui fait l'homme sacré.
PRO-GRÈS - un mot qui me plaisait tant, qui me faisait rêver... 
On ne m'avait pas dit qu'en réalité - comme on dit aujourd'hui quand on ne rêve pas, quand on est réaliste, qu'on a les pieds sur terre et la pensée loin des étoiles -, tant de gens en ce monde auraient à prendre l'autre route. La route grise, triste et honteuse, qui va sous les fenêtres murées des villes assombries, le long chemin où il fait faim, où il fait laid, où il fait froid. Qui laisse aux caniveaux tant de cadavres, et sur ses bords tant d'existences oubliées. Debout derrière les barrières. Près de leurs sacs de plastique. Regardant, de très loin, passer cette merveille majuscule qu'on appelle la VIE.

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Midi à Bordeaux en juillet

Publié le par Carole

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"Au réveil il était midi" (Rimbaud, "Aube")
 
 
C'était en juillet. Il était midi à Bordeaux. Les pendules marquaient dans la ville l'heure immobile et limpide de l'été, des vacances insouciantes et de la liberté. Partout la grande aiguille avait dans son élan joyeux recouvert la petite, dessinant au cadran la flèche unique et droite qui devait arrêter le temps, et l'épingler au ciel comme un beau papillon.

Maintenant qu'est venu l'automne, que Bordeaux est si loin, et qu'il fait soir en nous, quelle heure est-il aux horloges affolées, aux montres haletantes ?
On ne peut arrêter les aiguilles au cadran qui se rouille dans nos coeurs qui s'épuisent.
Et les heures dissipées tournent en rond dans nos mémoires et nos vies tictacantes, insectes agaçants qui se cognent au verre et bourdonnent au bord des vitres assombries, sans jamais retrouver cette pure lumière qui les fit naître - qu'on appelle bonheur.

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La fenêtre de Chateaubriand

Publié le par Carole

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Lui, j'étais allée le voir à Combourg.
Après la visite des tours, du chemin de ronde et de la triste logette au chat fantôme, dans le sombre château de granit où, depuis si longtemps, il n'était plus, je l'avais soudain aperçu au village, à la fenêtre d'une crêperie.
C'était encore l'été, il faisait chaud, le grand homme avait poussé la vitre pour rêver au balcon, y saisir une phrase lentement mûrie, une ferme période, ou peut-être une tendre épithète, cueillie comme un fruit mûr aux branches du beau temps, dans les ramages du fer bleu et les volutes roussies de la vigne...
Et voilà qu'il était, au-dessus de la petite rue, dans la maison banale, un homme parmi les autres, un rien ébouriffé par le vent de l'histoire, à peine tourmenté par son âme d'Abencérage - juste un peu assombri par le manteau dont le fresquiste avait cru bon de le couvrir.
Un homme même pas très grand, qui ressemblait un peu à Stendhal, et aussi à Schubert, à Schumann - enfin à bien des gens -, et qui regardait fixement la boutique d'en face : il s'appuyait sur un mur de briques, croisait un peu les jambes, dans la nonchalance d'après-midi - sûrement il allait bientôt descendre dans la rue, pour acheter un journal, un bouquet... Le soir il irait manger une crêpe en bas. Au beurre salé, avec une bolée de cidre.
Il était parmi nous tout bonnement.
Tout de même, il y avait la plume. Entre ses doigts elle était si grande, si claire, si longuement caressée de vent... plume d'oiseau prophète, trempée dans l'encre du grand ciel et la douce harmonie des beaux jours de ce monde... et dans sa main pensive on voyait frémir, respirant l'avenir et l'air bleu dans ses pages légères, un manuscrit joli comme un billet d'amour, chantant comme une partition, où les mots d'outre-tombe dansaient en notes vives, sur les lignes du temps. 
 
De Chateaubriand jamais je n'aurais attendu tant de simplicité - ni tant de légèreté !
 
Puis il m'a semblé que le peintre, sous l'apparente naïveté de la représentation, avait touché profond.
Car c'est cela, le pouvoir de l'artiste.
Il vient à notre rencontre, sans que d'abord on le remarque, l'air de rien, homme parmi les hommes. Et quand nous percevons, à son passage, la tiède brise d'infini, le goût léger de ciel et de musique qui s'en vient dans nos vies, nous en sommes, toujours, un peu surpris.
C'est, dirait-on, si peu de chose.
Et tout est là pourtant.

Publié dans Fables

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