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La rose sous la neige

Publié le par Carole

La rose sous la neige
La neige. Ce silence quand elle tombe. Cet enchantement soudain de la banalité devenue cristal et blancheur.
Comme une tentation de pureté mortelle.
Et nos pas déchirant tant d'étoiles minuscules et glacées descendues sur la terre, jusqu'où pourraient-ils s'en aller, sur ces chemins sans vie où s'efface leur trace ?
Jusqu'à quelle solitude éternelle et intacte, vierge de tout réveil, où dormir le coeur clos, dans un lit d'infini ?
 
Mais la rose, la rose colorée qu'impatiente le blanc,
la rose où se déplient, dans la soie imparfaite
des pétales frissonnants où froufroute le temps,
les ailes encore froissées des printemps à venir.
 
La rose qui s'égoutte de tout son poids d'hiver.
La rose qui s'ébroue en grimpant sur sa tige.
La rose à la recherche de son chemin d'épines.
La rose aux yeux ouverts comme l'oiseau du nid.
 
Imparfaite et vivante. La rose sous la neige.
 

Publié dans Fables

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L'art du temps

Publié le par Carole

Michel Corboz - Folle Journée de Nantes - 3 février 2018

Michel Corboz - Folle Journée de Nantes - 3 février 2018

L'art du temps... c'est ce que j'ai pensé, une fois de plus, ce matin, en songeant qu'elle allait encore se terminer, cette "Folle journée" de musique dont les heures toujours si brèves s'étirent pourtant sur plus d'un jour.
L'art du temps, l'art dont la matière est le temps, voilà ce que c'est, pour moi, que la musique, et ce pour quoi elle me fascine.
 
L'art du temps, la musique - car elle seule sait compter chaque instant, chacune de ces pulsations vibrantes du monde qu'elle appelle des temps, pour leur donner leur place, précieuse et minutieuse, dans l'écrin d'infini que leur fait le silence.
L'art du temps, puisqu'elle n'existe que dans l'instant, et que rien ne saurait la fixer, malgré l'illusion des enregistrements - mais qu'elle ne peut jamais mourir, vivant et revivant en chaque instrumentiste qui recommence, en chaque auditeur qui revient.
L'art du temps, vraiment - car elle seule sait reproduire le temps dans son rythme battant, dans l'élan qui le pulse au cercle toujours rejailli de sa perte incessante.
 
Et voilà pourquoi il est toujours si délicieusement douloureux d'assister à un concert. D'entendre la musique dans l'éphémère suspens où elle nous est donnée, avant de nous être reprise. Comme si on entrait dans la matière même de ce temps qui frappe et souffle et chante dans nos veines sa musique de vie, de mort et d'ici-au-delà.
 
Jamais je ne le comprends mieux que lorsque je vois, chaque année, Michel Corboz diriger encore son ensemble vocal, depuis la chaise où il se tient si vieux, comme un jeune musicien, parmi tant de jeunes musiciens que nous voyons vieillir.
Chaque fois comme si c'était la première fois. Chaque fois comme si c'était la dernière fois. Chaque fois comme si c'était l'unique fois. 
 
 
C'était, tout à l'heure, le Requiem de Mozart. Où résonnent à jamais les dernières notes entendues en son coeur par celui qu'on jeta à la fosse commune.
C'était aujourd'hui.
Et c'était déjà hier.
Demain peut-être.
 
 
 
 

Publié dans Nantes

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Lorraine

Publié le par Carole

Juste un mot ce matin : Lorraine nous a quittés hier. 
Dans le vacarme de ce monde, c'était une voix claire et délicate. Dans la folie de ce monde, c'était une voix calme et sereine. Dans la violence de ce monde, c'était une voix douce et tendre.
Une voix.
Une voix comme il y en a si peu.
Une voix comme une âme.
 
Il nous reste son cahier.
Où veille encore sa voix.
Son âme.
 
 

Derrière la grille c’était désert

Mais j’ai l’esprit qui vagabonde

A défaut d’avoir l’univers

Je me suis inventé un monde

 

LORRAINE

 

 

Publié dans Divers

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L'horloge à remonter le temps

Publié le par Carole

L'horloge à remonter le temps

Je l'ai aperçue en passant. Elle battait dans son coin de vitrine comme un vieux coeur humain. L'horloge à remonter le temps.
Pour vingt-quatre euros seulement - vingt-quatre euros, ou vingt-quatre heures, qu'est-ce que c'est, qu'est-ce que c'est donc, dans une vie ? - on pouvait l'acheter, l'emporter. Essayer.
Car, remonter le temps, n'est-ce pas que l'on pourrait, qu'on pourrait essayer... car on peut, on peut bien essayer ? 
Je me suis arrêtée, tentée...

Mais sur le cadran envahi de reflets, dans son coin de vitrine, l'aiguille des secondes tressautait, bondissait, s'efforçait, et restait toujours immobile. Une libellule étrangement bloquée sur son élan vibrant. Incapable de fuir le point qu'elle semblait tant vouloir quitter. Tandis que l'aiguille des heures, et celle des minutes, lourdes, noires, impavides, se tenaient collées au cadran comme des mouches mortes.
Elle ne marchait donc pas, alors, finalement, cette horloge ! Vingt-quatre euros, c'est quand même quelque chose, pourtant ? Pour vingt-quatre euros,  on est en droit de...  de ne pas... enfin quoi !
Avertir le marchand... voilà ce qu'il fallait... certainement il aurait pu... on peut toujours, non ? faire quelque chose : changer la pile, peut-être ? Ou bien remonter un ressort, nettoyer un contact oxydé, replacer une tige sur son axe... 

Cependant, l'aiguille des secondes continuait à tressauter et à s'efforcer, lancée vers le passé, poussée vers le futur, galopant immobile sur le cadran où se livrait cet étrange combat. Et elle battait si bien ainsi, comme une libellule au rebord de l'été, comme un coeur humain en hiver
que j'ai compris soudain que le marchand 
malicieux ou sage 
en réalité 
n'avait conçu cette machine que pour cela. 

Pour que nous le sachions.
Qu'on ne renfile pas le long collier des heures perdues.
Que même une seconde, le temps ne la rend pas.
Qu'il les ramasse chaque soir
et qu'il les serre sans hâte dans sa bourse d'avare,
tous nos jours gaspillés.

Pour que nous le voyions enfin,
dans sa tremblante ardente imperfection,
dans sa lutte à jamais minuscule infinie
cet instant palpitant suspendu sans répit entre hier et demain,
coeur battant de l'insecte
qu'on appelle la vie.

 

Publié dans Fables

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Une flaque

Publié le par Carole

Une flaque
Presque rien d'eau sur le trottoir. Une flaque. Quelques gouttes roulées sur la paume du bitume. Juste une peau de pluie légère. 
C'est si peu, c'est si mince, et pourtant c'est immense : un arbre y nage en frissonnant, un nuage y mûrit dans son ciel, un monde entier s'y tient comme au ventre vivant d'une rivière qui passe.
 
Une flaque sous nos pas. Juste un reflet qui tremble. Promesse de lumière aux nageoires fugitives. Et tant de gens pressés qui s'en vont sans savoir. Et tant de gens pressés qui piquent là-dessus l'ombre aiguë de leurs parapluies.
 
Tout reflet invite à la profondeur.
Toute profondeur est d'abord un reflet.
Il n'y faut bien souvent que l'eau légère d'une pensée.
 
Apprendre à se pencher.
 
 
 
 
 
 

Publié dans Fables

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Avec sa lampe jaune à écarter les ombres

Publié le par Carole

Avec sa lampe jaune à écarter les ombres
Avec sa lampe sourde de mousses oubliées, d'insectes desséchés et de feuilles flétries,
Avec sa lampe brune de jardins sous la pluie, de forêts en bourgeons et d'oiseaux en chemin,
Avec sa lampe haute à affronter le vent, à recarguer les voiles, à rouler sur les vagues,
Avec sa lampe jaune à écarter les ombres, et son rayon de lune à traverser la nuit,
 
qu'elle nous guide encore, la vieille année qui meurt, 
vers celle qui renaît.
 
A tous, amis et visiteurs de ce blog, je souhaite une heureuse année 2018 !
 
 

Publié dans Divers

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La brouette - conte de Noël

Publié le par Carole

   Le costume le gênait. Pourquoi est-ce qu'on lui imposait ça ?
   Un manteau de Père Noël, une barbiche en nylon, et une capuche fourrée, et puis... et puis quoi encore ? Est-ce qu'il était le Père Noël, lui, un simple livreur ?  Intérimaire, en plus. Engagé pour la semaine et rien d'autre. Même pas un vrai livreur.
   Mais c'était le costume ou le poste, pas moyen de discuter. "Tu livres les paquets pour que les gens les aient à Noël, tu mets le costume et tu la fermes."
   Il avait chaud, là-dedans, chaud à n'en plus pouvoir. [...]

Suite du récit à lire sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com

Publié dans Récits et nouvelles

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L'absent de Noël

Publié le par Carole

L'absent de Noël
    Ce matin, au feu rouge, attendant dans la longue file qui menait au supermarché, j'ai aperçu dans mon rétro ce très vieux Rom qu'on voit souvent se glisser entre les voitures en tendant la main. Il portait cette fois un costume de Père Noël.
    Qui lui avait donné ce costume d'un rouge et blanc éclatant d'acrylique ? Qui l'avait affublé en Noël made in China ? Qui était venu le déposer en ce lieu dangereux pour qu'il faufile entre les roues sa maladresse de vieillard ? Il y a en ce monde tant d'esclaves... C'est encore plus ignoble, quand on leur fait endosser le costume de la joie et de la générosité...
    Instinctivement, j'ai attrapé mon appareil-photo pour saisir dans le rétro cette pauvre silhouette. On croit toujours que les photos vont prouver on ne sait quoi qui n'est plus à prouver, qu'elles nous aideront au moins à ne pas oublier, peut-être à mieux comprendre... J'ai toujours avec moi un appareil-photo, et souvent je me dis qu'il ne me sert pas exactement à photographier, mais simplement à regarder, c'est-à-dire à poser sur le monde le cadre qui seul peut faire surgir le sens - ou le non-sens de la scène qu'il dessine.
    Au feu, bien sûr, je n'avais qu'un instant, j'ai photographié le rétro sans rien régler, sans rien vérifier - on verrait bien plus tard, plus tard, plus tard je regarderais... Sans doute aussi me sert-il surtout à cela, cet appareil-photo que j'ai toujours sur moi : à regarder plus tard, à regarder avec retard, avec ce décalage qui seul peut faire surgir les vérités que le présent nous cache.
 
    Quand j'ai enfin re-gardé le cliché, le soir, à ma grande surprise, le mendiant de Noël était absent du cadre que le rétro devait lui dessiner. J'étais certaine pourtant de l'avoir vu dans le viseur, quand j'avais appuyé rapidement sur le déclencheur. Certaine, absolument certaine qu'il y était quand j'avais pris le cliché. Mais sur l'image que j'avais cru saisir, il fallait se rendre à l'évidence, il n'y était plus. Il avait disparu.
    Disparu, de tout son rouge criard avalé dans le gris de ce matin pluvieux, emporté dans le flou où se perdent les ombres, le triste père Noël qui mendiait en esclave. Oublié, effacé de ce jour où la joie commande. Plus même une tache rouge et vague.
    Plus rien, que ces gouttes de pluie comme larmes au vent.
 
    Il y a en ce monde tant de gens qui ne peuvent subsister qu'en s'effaçant.
    Tant de pauvres gens qui ne survivent qu'en absents, et qui n'y sont jamais.
 
Si seulement cela pouvait, Noël, être la joie de ces absents de toutes joies.
Si seulement il pouvait, notre papa Noël, se défaire des oripeaux de fête fausse dont les commerçants l'ont revêtu, si seulement il pouvait se mettre enfin à nu, pour faire battre de joie, sur le tambour vivant de son vieux coeur humain, toutes ces mains tendues qui cognent sans  espoir aux portes fermées du bonheur.
 

Publié dans Fables, Nantes

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Avares

Publié le par Carole

Blois, maison dite "de Denis Papin"

Blois, maison dite "de Denis Papin"

C'est une étrange maison, posée comme un pont sur la rue, à regarder passer les badauds comme une eau qui s'écoule.
Et, lorsqu'on passe en badaud sous ce haut pont de colombages, c'est, dans l'ombre humide, une plus étrange apparition encore : une tête de bois coincée dans la muraille, soudain nous dévorant des yeux, tandis que ses mains paralysées crochent éternellement pour l'enfouir dans le mur on ne sait quoi de rond et de large qui ressemble à des pièces de monnaie - ou à des palets de joueur - peut-être à de petites galettes de boulange.
 
Mais qu'importe que ce soit or, bois ou farine, ce qu'entasse dans l'ombre la créature fabuleuse née du génie moraliste d'un sculpteur anonyme.
 
Pour moi, ces mains qui crochent, ces yeux creux et immenses qui cherchent à posséder tout ce qu'ils voient, cette bouche tordue qui voudrait non seulement inspirer, mais engloutir l'air qu'elle respire, pour ne plus jamais l'expirer, ce visage enfermé, muré dans son pan de torchis, ce sont les mains, les yeux, la bouche, le visage même de l'avare, incapable d'admettre que le temps nous prend tout. Qui finit, à force d'avoir voulu tout posséder et tout immobiliser par sa possession, par s'emmurer lui-même. Ayant cessé de vivre d'avoir refusé de donner au temps, qui passe et veut qu'on passe, la part des ombres.
Alors, qu'importe que ce soit cuivre, boulange ou bon argent, ce qui se serre et ce qui se terre sous ces doigts à jamais raidis.
 
Ce n'est pas seulement de notre argent que nous sommes avares, peut-être même est-ce le moins fréquent.
Non, si souvent, ce que pour rien au monde nous ne voulons lâcher, ce dont nous sommes le plus avaricieux, c'est de nos petits bonheurs et de nos souvenirs infimes, de nos réussites modestes, de nos biens minuscules, de nos objets poussiéreux, de nos fidélités usées, de nos habitudes enkystées, nous qui accumulons pour faire rempart à la disparition tant de pauvres biens morts aussitôt qu'entassés, enterrant dans leurs murs cette vie que nous mettions tant d'ardeur à retenir en eux.
Cette vie qui nous fut donnée pour rien, cette vie dont on ne peut rien épargner, cette vie qu'on ne peut mettre de côté, cette vie qui ne brûle que par ses deux bouts, cette vie qui ne chante qu'en oiseau sur sa branche, cette vie destinée à se dissiper, à se gaspiller, à se perdre à tout perdre.
 
Passer.
Il ne faut que passer.
Pour rien.
Juste passer.
Comme badaud sous le pont.

 

Publié dans Fables, Blois

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Jouets

Publié le par Carole

Blois, rue des Trois Clefs, Maison des Jouets

 

Dire qu'aujourd'hui, ce n'est plus qu'un banal magasin de chaussures.
 
Pour moi, c'est une façade à remonter pieds nus un matin de Noël le chemin sinueux du temps.
 
Il est toujours délicieux, et toujours douloureux, de revenir dans une ville d'enfance.
Nous y cherchons, toujours déçus et toujours éblouis, tous les petits cailloux des souvenirs, devenus ces miettes de nous-mêmes qu'emporte sans pitié le vent qui nous repousse. Et quand il ne reste plus rien, c'est les yeux grand fermés qu'il nous faut continuer à regarder - en-dedans...
 
Pourtant, rue des Trois Clefs un miracle de négligence - ou d'économie - avait préservé l'inscription, sur le côté. Son jaune années-soixante et sa flèche tentatrice et rougeâtre étaient restés presque les mêmes.
 
Tous les ans, en décembre, la vitrine s'illuminait, et se chargeait comme un astre de  longs circuits de trains traversant des villages avec leurs épiceries, leurs gares, leurs chefs de gare, leurs moutons et leurs chiens, de vastes maisons de poupées à étages munies de baignoires et de télévisions, de deux-chevaux caracolantes et de quatre-ailes rêveuses, de camions de pompiers sans incendies et d'ambulances sans malades, d'usines à hélice en mécano vissé, de grands navires à découvrir l'Amérique, d'immenses boîtes de crayons Caran-d'Ache à dessiner le soleil et le ciel, pour les mouiller du bout du doigt comme la pluie qui passe.
 
C'était un monde, la vitrine aux jouets, dans la vieille maison médiévale de la rue des Trois Clefs, un monde entier suspendu dans la couleur dorée des jeudis soirs où l'on rentrait à la nuit tombée, après les courses de Noël, pour s'en aller attendre, au square glacé des arbres sombres, le car des villageois.
 
Nous nous arrêtions longtemps, à regarder, béats, le monde des jouets flotter dans la lumière, comme les passagers du Nautilus regardaient par la vitre le monde de la mer illuminé par les phares de leur sous-marin.
 
Pourtant, si on nous avait demandé lequel de ces jouets nous aurions aimé recevoir, nous n'aurions pas su répondre. Car en réalité, nous ne souhaitions recevoir aucun de ces jouets. Et si l'un d'entre eux quelquefois s'en venait jusque sous notre sapin, il nous décevait presque aussitôt ouvert.
Non, c'était ensemble qu'ils nous fascinaient. Comme si, dans ce monde entier qu'ils formaient, suspendus dans la lumière des néons, ils étaient devenus, d'être ainsi savamment exposés, l'essence même du jouet.
L'image réduite du monde compliqué et tourmenté des adultes, enfin dessiné à la juste proportion d'un regard d'enfant, enfin compréhensible, enfin parfait.
 
 
Qui sait si elles ne pourraient pas encore
nous les ouvrir, les grandes portes de corne
du rêve et du patient désir,
ces clefs qu'on a rangées, 
rouillées, presque oubliées,
dans ce vieux coeur d'enfant
qui pour toute la vie
sera notre seul bien ?
 

 

Publié dans Enfance, Blois

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