Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

26 novembre

Publié le par Carole

26 novembre
Des ogres qui dévorent et des ogres qui meurent. Des accidents, des morts, des voix à la radio et des images à la télé. Des mots qui hurlent et des femmes qui pleurent, des lèvres qui murmurent des mélodies d'amour, et des fanfares tranquilles qui s'assoient au jardin. Des flammes pour veiller et d'autres pour détruire, et d'autres encore qu'on ne voit pas, dans l'ombre des maisons et à l'abri des coeurs, pour cuire le pain des heures et toujours espérer. Des parias et des stroboscopes, des guerres et des paillettes, des danseurs dénudés et des gens au café. Du désir, des révoltes, de la misère et des DJ. Le tour du monde en vingt minutes dans le fracas pop rock des banquises qui flanchent. Partout des points de vente, des appels et des pétitionsDes affiches en lambeaux qu'on recouvre aussitôt, et ces Epicuriens au banquet de la vie largement attablés, repoussant du pied sous la table ceux qui n'ont pu s'asseoir. La baraque en désordre où l'on claque les portes, la barbaque sanglante pour être gras quand on claque. Tant de mâchoires qui croquent et tant de joie qui craque. Tant de cris, tant de rires, tant de pleurs. Un chaos.
Mais cette clarinette qui s'obstine, fragile dans l'air lourd comme un verre de vin jeune. Et ce petit poème, sur son papier jauni, qui se récite encore dans l'air bleu.
 
Voilà, c'était hier déjà.
Le 26 novembre.
Juste un jour sur la Terre.
 
Partager cet article

Le mendiant et les oiseaux

Publié le par Carole

Le mendiant et les oiseaux
Il s'était installé un trône sur les marches en ciment. Sur les cartons, dans les sacs de plastique, sous sa couette de nylon, allongé comme un dieu, le visage invisible, il régnait.
De temps à autre, on voyait sa main attraper dans un seau une poignée d'on ne savait quelle farine granuleuse, qu'elle dispersait négligemment sur le trottoir.
Tous aussitôt, affamés et avides, en foule ils venaient à la manne, les pigeons et les tourterelles, les oiseaux-mendiants de la rue. S'entassant, s'acharnant, se frappant de l'aile et s'accrochant du bec, pour picorer leur part trop menue et lui jeter des regards implorants. Mais lui, impassible, invisible, dédaignait de replonger sa main dans la manne.
Alors, audacieux et voraces, ils approchaient, toujours plus près, pour quémander encore, encore... Et sa main attrapait dans un autre seau, derrière sa couette, des pierres pour les chasser. Et tous, effrayés et meurtris, s'enfuyaient éperdus dans un grand froissement de plumes.
Puis sa main replongeait dans la manne, large et généreuse... Tous se précipitaient encore vers son trottoir, grignotant au hasard et grimpant prudemment, humble foule obséquieuse, pour l'implorer et s'approcher de lui - le maître des oiseaux, le roi des clochards ailés de la rue, qui tout à l'heure leur lancerait de nouveau des pierres.
 
Le destin l'avait choyé et il l'avait brisé. Le destin l'avait béni et il l'avait trompé. Le destin lui avait promis le bonheur des hommes, et puis il l'avait fait mendiant.
 
Alors lui, vautré sur son trône de carton, roulé dans sa fourrure de nylon à fleurs, il jouait désormais, magnanime et terrible, tout en haut de ses marches couronnées de plastique, à être le Destin.

 

Publié dans Fables

Partager cet article

L'osier de saint Bouchard

Publié le par Carole

    Quand le vieux saint Bouchard vivait encore à Selommes, mon village, il se fit faire un jour un panier d’osier. Un grand et beau panier à larges mailles qu'il voulait avoir pour puiser, disait-il, de l’eau à sa fontaine.
    Pour puiser, disait-il, toute l'eau du grand ciel, au flanc de la colline verte d'où jaillissait sa source, comme une humble couleuvre habillée de reflets.
    Dans ce pays de sources il avait en effet fait jaillir comme un autre sa fontaine, notre vieux saint Bouchard. Une fontaine pure, semée de cresson, d’écrevisses et de têtards bleus, murmurant dans sa mousse des mots qu'on ne comprenait pas [...]

suite du récit sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com

Partager cet article

Trace

Publié le par Carole

Trace
La pluie battait sur les toits bruns sa mesure engourdie
comme un coeur fatigué tout embrumé de nuit.
Et les fenêtres illuminées se repliaient sur leurs trésors
et chaque réverbère chuchotait dans son or
des secrets pleins de larmes qu'on se hâtait de fuir
sur les trottoirs glissants sous les parapluies gris.
 
Rouge-feuille, rouge-vie,
rouge-feu, rouge-pluie,
rouge-fer, rouge-coeur, 
rouge-rouille, rouge-amour,
rouge-gorge, rouge-oronge,
rouge-sang, rouge-ronge,
 
elle était devant moi comme une trace de pas
du temps.

Publié dans Fables

Partager cet article

Fenêtre à la mangeoire d'oiseaux

Publié le par Carole

Fenêtre à la mangeoire d'oiseaux
  Ils m'émerveillent, ceux qui ouvrent leurs vitres, dans le gris de ce monde, comme des ailes bleues, sur des jardins d'oiseaux et des chants de bourgeons.
 
  Ils m'émerveillent, ceux qui pendent à leurs murs, tout dévorés de lèpre, d'étroits balcons de bal, pour que des fleurs en rose y dansent sur les grilles.
 
  Ils m'émerveillent, ceux qui ne veulent voir, au carreau de nuages, que l'arbre qui grandit et le jour qui picore dans la paume des feuilles.
 
 Ils m'émerveillent, ceux qui sèment en hiver, sur les murs endeuillés des grandes villes noires au crépi de misère, tous les nids du printemps.
 
  Ils m'émerveillent, ceux qui ont les yeux purs.

Publié dans Fables

Partager cet article

La lettre

Publié le par Carole

La lettre était arrivée le matin. 

Il ne l'avait pas ouverte, il l'avait simplement retirée de la boîte, et l'avait fourrée près de son portefeuille, dans la poche intérieure de son manteau. Puis il avait grimpé l'escalier quatre à quatre, jusqu'au dernier étage où sa poitrine essoufflée s'était brusquement emballée, battant de grands coups douloureux qui rebondissaient sèchement sur le papier crissant. Au point que, cette fois, il avait dû s'asseoir un bon moment sur les marches. Mais il s'était tout de même repris, avait titubé quelques pas vers sa porte, avait fini par réussir à tourner la clé dans la serrure. Enfin, extirpant la lettre de sa poche, il l'avait jetée sur la table de la cuisine, tiède et froissée comme un vieux coeur. Et il s'était affalé sur son unique chaise dépaillée [...]

Suite du récit sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com

Publié dans Récits et nouvelles

Partager cet article

Non Oui Oui Non

Publié le par Carole

Non Oui Oui Non
Non, disait l'un, Oui, disait l'autre. 
Oui, disait l'autre, Non, disait l'un.
Et l'un clamait que l'autre disait faux,
L'autre criait que l'un était mauvais,
Et l'un rageait contre le Oui de l'autre,
Et l'autre tempêtait contre le Non de l'un.
Ils allaient en venir aux coups, aux flammes et à la guerre...
Car Oui, hurlaient les uns, mais Non, grondaient les autres !
s'attroupant près des autres, se groupant loin des uns,
pour marcher en armées identiques et inverses sur des routes inverses et semblables où les uns et les autres et les autres et les uns s'effaçaient tous en rangs.
 
Car c'est ainsi : un monde où l'on ne sait plus dire que Oui ou Non, un monde où l'on n'est plus que cet un ou cet autre.
n'engendre plus que des bonshommes sans visages, 
silhouettes interchangeables et irréconciliables
avançant en armées sur des routes hurlantes 
qui s'en vont au néant.
 

Publié dans Fables

Partager cet article

Heure d'hiver

Publié le par Carole

Heure d'hiver
Ouvrez c'est l'heure
Ouvrez la porte
Au vent qui heurte
Au vent qui frappe
C'est l'heure d'hiver
Le jour des morts.
 
Nos verres se brisent
Au pli des ombres
Plus de champagne
Au fond des coeurs.
 
Mais le vent jappe
Et l'heure aboie.
 
Avec nos mains
Qui sont des feuilles
Et nos regrets
qui tremblent et pleurent
Ouvrons au vent
Qui nous emporte
Et faisons fête
Au temps qui grogne
 
Puisque nous sommes
Ses enfants.

Publié dans Fables

Partager cet article

Le petit musée

Publié le par Carole

Le petit musée

C'était rue Clemenceau. Face au Grand Musée qu'on est en train de nous rebâtir sur l'ancien musée des beaux arts.

Il était passé là, l'homme au sourire du dimanche... et il y était allé de son petit graffiti timide - si pâle, si léger, que la première pluie en essuierait le charbon d'écolier. Car il n'abîme rien, l'homme aux fusains du dimanche. Il n'est pas de ceux qui s'imposent, l'homme aux dimanches de la ville, juste de ceux qui posent et qui proposent.

Le Grand Musée le petit musée...

Mais qu'est-ce qu'un musée ? Sinon un lieu où proposer les oeuvres, pour que se posent les regards, pour que devant chacune on flâne et on s'arrête, que plus rien ne s'impose, et qu'on reste immobile un peu, à musarder en soi-même, dans la course incessante du monde.

Et lui, l'homme aux dimanches de la vie, que fait-il d'autre, ornant d'affiches et de messages tous les murs de la ville, que disposer pour ceux qui passent de quoi flâner et s'arrêter, et regarder et musarder, se reposant, tout doucement, dans le flux incessant de la ville ? 

Le Grand Musée le petit musée. Et toujours le dimanche de l'art, quand le pas ralentit, quand le regard s'éveille et que la vie, enfin, se pose sur sa branche.

Publié dans Nantes

Partager cet article

Les loges

Publié le par Carole

Réfugiés installés dans les loges du théâtre municipal du Pirée en 1923 - Exposition "Icônes, trésors de réfugiés", octobre 2016, musée du Château des Ducs, Nantes.

Réfugiés installés dans les loges du théâtre municipal du Pirée en 1923 - Exposition "Icônes, trésors de réfugiés", octobre 2016, musée du Château des Ducs, Nantes.

A l'exposition "Icônes, trésors de réfugiés" du musée du Château, à Nantes, on pouvait remarquer cette étrange et terrible photographie - mais qui la remarquait ? elle était si fanée et si trouble... 
Des réfugiés grecs, rapatriés de Turquie après le traité de Lausanne en 1923, installés dans les loges du théâtre du Pirée, à Athènes, posent, debout et droits, devant l'objectif d'un photographe nécessairement situé sur la scène
 
Toute photographie, on le sait, est une image inversée qui dispose les choses et les êtres à leur place éternelle. Aussi était-il nécessaire que les acteurs deviennent spectateurs de leur propre tragédie, et que le photographe faiseur d'image endosse pleinement son rôle d'acteur et de metteur en scène.
Car, si les grandes souffrances des peuples n'ont aucun sens, et vont se perdre dans un chaos indicible dont les humains ne tirent jamais leçon, il importe cependant, il importe par-dessus tout, qu'on ne les oublie pas, et qu'elles se transmettent, de mémoire en mémoire, selon les règles antiques et parfaites de la tragédie.

Publié dans Nantes

Partager cet article